par Carmel Crimmins
DUBLIN (Reuters) - Alors que l'Europe peine à ficeler un deuxième plan de sauvetage pour la Grèce, la crise pourrait contraindre un autre pays fortement endetté de la zone euro à solliciter une nouvelle aide internationale: l'Irlande.
Dublin, qui bénéficie depuis novembre dernier de 85 milliards d'euros d'aide de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, espère connaître une croissance suffisamment forte ces deux prochaines années pour que les investisseurs n'assimilent pas sa situation à celle de la Grèce.
Ceci permettrait à l'Irlande de se financer de nouveau sur les marchés obligataires dès 2013, après avoir sondé l'appétit des prêteurs dès le second semestre 2012 en émettant des obligations à court terme.
Mais le scénario pourrait se révéler moins rose.
La crainte d'un défaut de remboursement de la Grèce a fait flamber les rendements des obligations des pays les plus endettés de la zone euro, si bien que le papier irlandais à dix ans a atteint ces derniers jours un rendement de 12%, près du double des taux moyens auquel Dublin emprunte dans le cadre de son plan de sauvetage.
Avec un coût de financement si élevé et une économie si fragile, l'Irlande risque de se trouver exclue des marchés financiers pendant encore longtemps.
"Ils essaient de sauver les apparences en espérant que l'économie va rebondir, mais les chiffres ne traduisent pas cela", commente Alan McQuaid, économiste chez Bloxham Stockbrokers.
Le produit intérieur brut irlandais (PIB) a progressé de 1,3% au premier trimestre, sa plus forte croissance depuis plus de trois ans, mais cela masque un net déclin de la consommation privée.
Les fortes exportations, qui ont dopé le PIB, devraient quant à elles se dégonfler à mesure que la croissance ralentit du côté des principaux partenaires commerciaux de l'Irlande.
Le pays a donc avant tout besoin de voir sa demande nationale décoller s'il entend convaincre les marchés que sa dette souveraine - que le FMI projette à 120% du PIB en 2013, contre 157% pour la Grèce - est viable à moyen terme.
Mais avec un taux de chômage stagnant autour de 14% et alors que Dublin n'en est qu'à mi-chemin de son programme d'austérité de six ans, les consommateurs restent frileux.
Le taux d'épargne national a triplé depuis le début de la récession en 2008, pour s'établir aujourd'hui autour de 11%.
SECTEUR BANCAIRE À RISQUE
La crise économique de l'Irlande prend ses racines dans l'octroi de crédits immobiliers risqués, qui ont failli causer l'effondrement du secteur bancaire lorsque le marché du crédit s'est gelé et que les prix de l'immobilier se sont écroulés.
En soumettant les banques à de sévères tests de résistance ("stress tests") et en leur injectant cette année quelque 24 milliards d'euros s'ajoutant aux 46 milliards déjà consentis, Dublin espère convaincre les investisseurs que le secteur est désormais pleinement protégé face à d'éventuelles nouvelles secousses.
Mais certains analystes doutent de la capacité du secteur financier irlandais, déjà plombé par les défauts de crédit, à faire face au relèvement des taux d'intérêt que semble préparer la Banque centrale européenne.
L'endettement des ménages irlandais atteint 129% du PIB, le ratio le plus important du monde industrialisé selon les données du FMI.
Le sauvetage international de l'Irlande l'an dernier a été perçu dans le pays comme une violation humiliante de sa souveraineté, annonçant la déroute électorale historique du précédent gouvernement en février dernier.
Mais un sauvetage pourrait sembler moins controversé si l'Irlande sollicitait le nouveau mécanisme européen de stabilité financière (MES), dont la mise en place est prévue en 2013: si d'ici là l'Irlande aura déjà mis en oeuvre d'importantes réformes budgétaires, alors l'Europe pourrait consentir à de nouveaux prêts d'urgence sans exiger en contrepartie des mesures de rigueur.
Contrairement à la Grèce, l'Irlande remplit actuellement les objectifs budgétaires fixés par le plan de sauvetage de l'UE et du FMI.
Dublin pourrait aussi envisager une solution mixte, en sollicitant à la fois le mécanisme de stabilité financière et les marchés obligataires à partir de 2013 - à condition que l'économie ait retrouvé d'ici-là un élan plus marqué.
Mais d'après certains analystes, l'Irlande ferait mieux de renoncer entièrement à un retour sur les marchés en 2012-2013, et devrait plutôt souscrire à un deuxième plan de sauvetage de l'ordre de 40 milliards d'euros, capable de couvrir ses besoins de financement jusqu'en 2016.
"Si le marché constate que l'Irlande s'est retirée des marchés de capitaux pendant cette période, et que des rapports de l'UE et du FMI montrent que le pays remplit ses objectifs, alors le marché s'ouvrira de nouveau", explique Oliver Gilvarry, responsable de la recherche chez Dolmen Securities à Dublin.
"Quand ils voient que vous n'avez pas besoin d'argent, de façon perverse, ils s'ouvrent."
Natalie Huet pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten